« Mon Père est toujours à l’œuvre » (II)

L'incarnation du Christ, Piero di Cosimo, 1505

 L'évangile du jour : Jean 5, 17-30

…« Mon Père est toujours à l’œuvre, et moi aussi, je suis à l’œuvre. » C’est pourquoi, de plus en plus, les Juifs cherchaient à le tuer, car non seulement il ne respectait pas le sabbat, mais encore il disait Dieu son Père, se faisant égal à Dieu.

Jésus reprit donc la parole. Il leur déclarait : « Amen, amen, je vous le dis : le Fils ne peut rien faire de lui-même, il fait seulement ce qu’il voit faire par le Père ; ce que fait celui-ci, le Fils le fait pareillement. Car le Père aime le Fils et lui montre tout ce qu’il fait. Il lui montrera des œuvres plus grandes encore, si bien que vous serez dans l’étonnement. Comme le Père, en effet, relève les morts et les fait vivre, ainsi le Fils, lui aussi, fait vivre qui il veut. Car le Père ne juge personne : il a donné au Fils tout pouvoir pour juger, afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père. Celui qui ne rend pas honneur au Fils ne rend pas non plus honneur au Père, qui l’a envoyé.

Amen, amen, je vous le dis : qui écoute ma parole et croit en Celui qui m’a envoyé, obtient la vie éternelle et il échappe au jugement, car déjà il passe de la mort à la vie.

Amen, amen, je vous le dis : l’heure vient – et c’est maintenant – où les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l’auront entendue vivront. Comme le Père, en effet, a la vie en lui-même, ainsi a-t-il donné au Fils d’avoir, lui aussi, la vie en lui-même ; et il lui a donné pouvoir d’exercer le jugement, parce qu’il est le Fils de l’homme. Ne soyez pas étonnés ; l’heure vient où tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront sa voix ; alors, ceux qui ont fait le bien sortiront pour ressusciter et vivre, ceux qui ont fait le mal, pour ressusciter et être jugés.

Moi, je ne peux rien faire de moi-même ; je rends mon jugement d’après ce que j’entends, et mon jugement est juste, parce que je ne cherche pas à faire ma volonté, mais la volonté de Celui qui m’a envoyé. »

***

Hier, Jean nous a fait le récit de la guérison du grabataire stocké depuis 38 ans au bord du bassin de Bethzatha, mu soudainement par l’ordre que lui donne Jésus : « Lève-toi, prends ton grabat, et marche ». Pour le quatrième évangéliste, la guerre est immédiatement déclarée entre Jésus et ses coreligionnaires ; il souligne que ceux-ci cherchaient d’emblée à le tuer car « non seulement il rompait le sabbat, mais il disait (elegen) Dieu son Père, se faisant (poien) égal à Dieu » (Jn 5, 18), Jean indiquant par là combien le « dire » de Jésus est aussi un « faire ».

L’antipathie meurtrière initiale ne cessera de croître au fur et à mesure que s’affirmera la prétention à la divinité de Jésus. Pourtant n’y a-t-il pas à l’origine de cet affrontement un malentendu radical ? En nous parlant d’un Père, Jésus ne rompt-il pas avec la figure de Dieu, le dieu tout-puissant, lointain et indicible ? Derrière le Fils de Dieu ne se profile-t-il pas déjà le Fils de l’Homme à venir ? C’est que « l’incarnation change tout » comme l’affirmait Merleau-Ponty, regrettant que le christianisme n’ait pas encore pris la mesure de ce changement de régime du divin alors que là réside sa spécificité. Cette spécificité, Jean n’en est-il pas le meilleur témoin ?

Jésus a une bonne excuse pour rompre le sabbat : son « Père » est toujours à l’œuvre. Selon une genèse continuée qui ne connaît pas le repos du septième jour, ce Père « relève les morts » et leur dispense continûment la vie. Ce pouvoir de vie, le Père l’a transmis au Fils et ils le partagent ensemble.

Plus étonnant encore, le Père ne juge pas (plus). Il s'est dessaisi de ce pouvoir pour le remettre entièrement à son Fils « qui reviendra dans la gloire pour juger les vivants et les morts » confirme le Credo des chrétiens. Plus étonnant encore, il se pourrait que celui qui croit en la parole de l’envoyé du Père échappe même au jugement, entrant de plain-pied dans la vie éternelle, en passant par la foi de la mort à la vie.

Encore faut-il entendre la voix qui porte cette parole, la voix du Fils qui incarne sans retour celle du Père qui l’a envoyé. À la voix « de fin silence » de Yahvé s’est substituée une Parole de vie lancée jusqu’à nous depuis « les clairs chemins de Galilée ». Aux morts que nous sommes encore, aux morts des tombeaux qui nous ont précédés, il est donné de l’entendre. « L’heure vient » de ce réveil général. Et notre méditation et notre attente se poursuivent, sans limites.

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