Pêcheur d'hommes vivants

Duccio di Buoninsegna (1255-1319) National Gallery of Art, Washington

 En ce temps-là, la foule se pressait autour de Jésus pour écouter la parole de Dieu, tandis qu’il se tenait au bord du lac de Génésareth. Il vit deux barques qui se trouvaient au bord du lac ; les pêcheurs en étaient descendus et lavaient leurs filets. Jésus monta dans une des barques qui appartenait à Simon, et lui demanda de s’écarter un peu du rivage. Puis il s’assit et, de la barque, il enseignait les foules. Quand il eut fini de parler, il dit à Simon : « Avance au large, et jetez vos filets pour la pêche. » Simon lui répondit : « Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre ; mais, sur ta parole, je vais jeter les filets. » Et l’ayant fait, ils capturèrent une telle quantité de poissons que leurs filets allaient se déchirer. Ils firent signe à leurs compagnons de l’autre barque de venir les aider. Ceux-ci vinrent, et ils remplirent les deux barques, à tel point qu’elles enfonçaient. À cette vue, Simon-Pierre tomba aux genoux de Jésus, en disant : « Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur. » En effet, un grand effroi l’avait saisi, lui et tous ceux qui étaient avec lui, devant la quantité de poissons qu’ils avaient pêchés ; et de même Jacques et Jean, fils de Zébédée, les associés de Simon. Jésus dit à Simon : « Sois sans crainte, désormais ce sont des hommes que tu prendras. » Alors ils ramenèrent les barques au rivage et, laissant tout, ils le suivirent.

***

Dans sa "clé de lecture" du jour (dans Prions en Église), Roselyne Dupont-Roc souligne que c'est la seule fois, dans l'évangile de Luc, où Simon est appelé "Simon-Pierre". C'est au chapitre suivant, quand Jésus appelle les Douze, qu'il nomme définitivement Simon "Pierre". Simon est le seul disciple dont Jésus a changé le nom. Simon-Pierre marque le passage, en quelque sorte.

Matthieu, lui, est le seul qui fera jouer Jésus sur les mots Pierre et pierre pour donner un rôle particulier à "Simon fils de Iona" (Mt 16, 17-19), la pierre sur laquelle va être fondée l'ecclesia, l'assemblée qui deviendra l'Église.

En langue française, une homonymie, une euphonie plutôt - et une faute d'accentuation fréquente - court de pêcheur à pécheur, de Simon à Pierre. D'avoir trop pêché, Simon se sent tout à coup pécheur, indigne du don qui lui est fait alors qu'il a eu un mérite éminent : croire en cet homme qui était monté dans sa barque, sans autorisation, et lui ordonnait de jeter ses filets. "Sur ta parole, je vais jeter les filets". Sur une simple parole, ἐπὶ δὲ τῷ ῥήματί σου. Surtout, le voilà saisi d'effroi avec ses compagnons, Jacques et Jean.

On peut juger éminemment ironique la façon dont Jésus les rassure - "Ne crains point" (Μὴ φοβοῦ) - en leur promettant de capturer vivants, en lieu et place de poissons, des êtres humains (ἀνθρώπους ἔσῃ ζωγρῶν). S'ils ont été effrayés par leur pêche miraculeuse, combien a fortiori ne vont-ils pas redouter de devenir des "pêcheurs d'hommes" ? Qu'est-ce que cela peut bien signifier ?! Qu'est-ce qui les attend ?! Et pourtant : "Laissant tout, ils le suivirent".


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