Le bon pasteur



L'évangile du jour, 4e dimanche de Pâques : Jean 10, 11-18

En ce temps-là, Jésus déclara : « Moi, je suis le bon berger, le bon berger qui donne sa vie pour ses brebis. Le berger mercenaire n’est pas le pasteur, les brebis ne sont pas à lui : s’il voit venir le loup, il abandonne les brebis et s’enfuit ; le loup s’en empare et les disperse. Ce berger n’est qu’un mercenaire, et les brebis ne comptent pas vraiment pour lui. Moi, je suis le bon pasteur ; je connais mes brebis, et mes brebis me connaissent, comme le Père me connaît, et que je connais le Père ; et je donne ma vie pour mes brebis. J’ai encore d’autres brebis, qui ne sont pas de cet enclos : celles-là aussi, il faut que je les conduise. Elles écouteront ma voix : il y aura un seul troupeau et un seul berger. Voici pourquoi le Père m’aime : parce que je donne ma vie, pour la prendre de nouveau. Nul ne peut me l’enlever : je la donne de moi-même. J’ai le pouvoir (ἐξουσίαν) de la donner, j’ai aussi le pouvoir de la reprendre : voilà le commandement (ἐντολὴν) que j’ai reçu de mon Père. »

***

Ce passage s'inscrit dans un ensemble inauguré par le long récit, au chapitre 9, de la guérison de l'aveugle-né, l'un des sept « signes » rapportés par Jean dans son évangile, le plus éloquent sans doute par sa mise en scène dramatique. Cet aveugle qui recouvre la vue représente pour saint Augustin « la race humaine » tout entière. Il fournit à Jésus une nouvelle occasion de dénoncer l'aveuglement des Pharisiens car il n'est pas de pire aveugle que celui qui croit voir (Jn 9, 39-41).

Le Jésus de Jean, contrairement à celui des trois autres évangélistes, n'est guère prodigue en paraboles. Celle du « bon pasteur » reprend un symbolisme bien attesté dans l'Ancien testament et qui parle encore dans la Palestine de l'époque, largement pastorale, en dehors des villes.

Juste avant, ce passage évoque ce « bon » berger qui entre par la porte, contrairement au voleur et au pillard, et qui connaît ses brebis chacune par son nom ; puis Jésus se présente lui-même comme la « porte des brebis », celle par laquelle le troupeau doit passer ; avant d'endosser le costume du « bon pasteur », celui qui est prêt à donner sa vie pour ses brebis, au contraire du berger mercenaire, qui s'enfuit dès qu'il voit le loup.

En évoquant d'autres brebis qui ne sont pas de cet enclos, Jean fait sans doute allusion à des divisions qui traversaient déjà les premières communautés, que rapportent aussi les Actes des apôtres et saint Paul dans ses lettres. C'est un appel à l'unité.

Jésus sait déjà que sa vie est en jeu. Tout le texte se polarise alors autour du verbe γινώσκω, connaître, d'où dérive le mot gnwsiV, connaissance, encore nommée gnose. Jésus affirme dans ce registre une chose étonnante : nous, les brebis, connaîtrions Jésus à l'égal de la connaissance que son Père a de lui ! Quelles intimités croisées, dont saint Augustin avait confessé la conviction : Deus intimor intimo meo, Dieu plus intime que l'intime de moi-même. Égalité, réciprocité entre personnes, qui nous préserve des dangers d'un troupeau bêlant sous emprise, dont le film de Sarah Suco, Les Éblouis (2019) avait fait un conte d'avertissement.

Plus troublant encore quand le Fils nous révèle la raison pour laquelle son Père l'aime : parce qu'il peut donner sa vie et la prendre/recevoir* de nouveau. De son Père ? C'est le bel implicite de cette affirmation. Donner sa vie, c'est aussi un pouvoir dont le Fils semble se targuer, mais c'est pour affirmer aussitôt qu'il n'est rien d'autre qu'un ordre ou commandement de son Père : tu peux donner ta vie et la reprendre. Mais nul ne peut interférer dans ce jeu du Père et du Fils, ce que Jésus rappellera à Pilate (Jn 19,11)


* le verbe grec employé, lambanw, peut prendre les deux sens, assez différents, de prendre, saisir ou recevoir, accueillir, d'où les différentes traductions observables.


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