La première pierre

 

Le Christ et la femme adultère, Nicolas Poussin, Louvre

L’évangile du jour : Jean 8, 1-11

En ce temps-là, Jésus s’en alla au mont des Oliviers. Dès l’aurore, il retourna au Temple. Comme tout le peuple venait à lui, il s’assit et se mit à enseigner. Les scribes et les pharisiens lui amènent une femme qu’on avait surprise en situation d’adultère. Ils la mettent au milieu, et disent à Jésus : « Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit d’adultère. Or, dans la Loi, Moïse nous a ordonné de lapider ces femmes-là. Et toi, que dis-tu ? » Ils parlaient ainsi pour le mettre à l’épreuve, afin de pouvoir l’accuser. Mais Jésus s’était baissé et, du doigt, il écrivait sur la terre. Comme on persistait à l’interroger, il se redressa et leur dit : « Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter une pierre. » Il se baissa de nouveau et il écrivait sur la terre. Eux, après avoir entendu cela, s’en allaient un par un, en commençant par les plus âgés. Jésus resta seul avec la femme toujours là au milieu. Il se redressa et lui demanda : « Femme, où sont-ils donc ? Personne ne t’a condamnée ? » Elle répondit : « Personne, Seigneur. » Et Jésus lui dit : « Moi non plus, je ne te condamne pas. Va-t'en ; désormais ne pèche plus. »

***

Ce passage, ô combien célèbre, de l’évangile de Jean… ne relève pas de l’évangéliste selon l’avis de la plupart des exégètes. Il est absent des meilleurs manuscrits grecs de cet évangile. Il pourrait se rattacher plutôt à celui de Luc (début identique à Luc 21, 38). Brown rapporte une hypothèse selon laquelle il aurait « voyagé » indépendamment des quatre évangiles, comme « un récit ancien sur la miséricorde de Jésus envers les pécheurs » et s’y serait rattaché tardivement, après que l’Église aurait surmonté sa « répugnance à pardonner l’adultère » (surtout l’adultère féminin, coin enfoncé dans le patriarcat !)

Dans le catéchisme de l’Église catholique (CEC, 1992), c’est de fait sous ce sixième commandement somme toute restreint - « tu ne commettras pas d’adultère » - qu’elle a réuni toute sa doctrine morale autour de la sexualité et de son exercice. Outre qu’il rappelle en exergue ce commandement tel qu’il est édicté dans le livre de l’Exode (20, 14) et du Deutéronome (5, 17), le CEC cite aussi le passage où Jésus surenchérit, dans la série matthéenne « on vous a dit mais moi je vous dis », pointant, en direction des hommes cette fois, la flèche suivante : « quiconque regarde une femme pour [je souligne ici l’intentionnalité] la désirer a déjà commis, dans son cœur, l’adultère avec elle » (Mt 5, 27-28)

Nonobstant les errances testamentaires de ce récit, il a bien mérité de figurer dans le canon des Écritures. Il s’inscrit dans la série des mises à l’épreuve de l’enseignement de Jésus au regard de la Loi. Si Jésus ne transige pas avec elle comme il s’y est engagé – « je ne suis pas venu abolir mais accomplir » (Mt 5, 17-19) – il prend un malin plaisir à souligner l’hypocrisie masculine, plus prompte à dénoncer l’inconduite féminine et à la châtier de façon atroce, qu’à se remettre en cause.

Que pouvait bien écrire Jésus, de son doigt pointé par deux fois sur le sable ? L’évangéliste ne le dit pas. Le rabbi ne veut manifestement pas entrer dans une énième controverse avec les Pharisiens et les scribes, de laquelle il s’absente par avance en faisant semblant de s’absorber dans cette mystérieuse activité d’écriture. Mais il est clair qu’il récuse le châtiment prévu par la Loi. « Jeter la première pierre » : l’expression est devenue proverbiale. Le texte, qui précise que les bonshommes se sont retirés « en commençant par les plus âgés », se permet même cette pointe d’humour cinglante. Quant à ce que pouvait écrire Jésus pendant cette séquence, l'écrivain Erri de Luca suggère que c'était peut-être le cinquième commandement : "Tu ne tueras point".

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