Qui perd gagne
L’évangile du jour : Luc 9, 22-25
En ce temps-là, Jésus disait à
ses disciples : « Il faut que le Fils de l’homme (ton uion tou anqrwpou) souffre beaucoup,
qu’il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu’il
soit tué, et que, après trois jours, il se lève. »
Il leur disait à tous : «
Celui qui veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa
croix (ton stauron autou) chaque
jour et qu’il me suive. Car celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui
qui perdra sa vie à cause de moi la sauvera. Quel avantage un homme aura-t-il à
gagner le monde entier, s’il se perd ou se ruine lui-même ? »
***
Il y a un revirement dans l’évangile.
Jusqu’ici, Jésus parcourait la Galilée et les territoires alentour, il s’était
même aventuré dans des terres païennes, guérissant, exorcisant, toutes celles
et tous ceux qui souffraient de quelque mal physique ou mental et venaient à
lui. Où qu’il aille, les foules se pressaient autour de lui, pressentant
quelque chose d’exceptionnel et de radicalement neuf dans sa personne et dans
ce qu’elle disait et faisait. Il parlait en paraboles, dans ce langage imagé
qui ne disait pas tout d’emblée, qui gardait du mystère. À ses disciples, il
réservait de dire en clair ces « choses cachées depuis la fondation du
monde ». Il s’agaçait pourtant de plus en plus souvent qu’ils soient si
lents à comprendre celui qu’il devenait, au fil des jours, sous leurs yeux,
dans ce compagnonnage de tous les instants. Jusqu’à ce moment charnière qui
précède le texte de ce jour, moment de reconnaissance dont la primauté est accordée
à Pierre par les trois évangélistes, la confession à Césarée de Philippe : « Tu
es le Christ ».
En accordant ce titre à Jésus, c’est
comme si Pierre ouvrait à son maître le chemin qui va mener celui-ci à Jérusalem, jusqu’au
drame de la crucifixion. La période du Carême rejoue l’entrée dans ce chemin. Pierre
libère Jésus du silence que celui-ci imposait jusqu’ici sur la vérité de sa
mission et du destin personnel qu’elle engage. D’où cette première annonce de
la Passion, dans la figure encore cryptée du « fils de l’homme » :
cette autre façon d’être fils de désigne-t-elle directement Jésus ou comme
on le découvrira plus tard, son « double eschatologique » auquel il
va laisser sa place, celui qui reviendra à la fin des temps ? Est-ce un
nouveau titre appelé à se substituer définitivement à celui de « fils
de Dieu » ? Si Dieu meurt en Jésus Christ, ne reste-t-il qu’un simple
fils d’homme, fils de son père ? Toutes ces questions, en un sens crucial
qui ne fera que se confirmer, s’ouvrent à cet instant.
Comme s’ouvre le parcours semé d’embûches
qui conduit à Jérusalem. Jésus avertit ses disciples et tous ceux qui
voudraient le suivre à l’avenir : le nouveau jeu s’appelle « qui perd
gagne », sur un chemin où chacun doit « prendre sa croix ».
L’allégorie de la croix commence ici. En attendant que lui porte vraiment la
sienne. Pour tous.
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