Qui perd gagne

 

Patibulum - (Wikipedia, Rubén Betanzo S.)

L’évangile du jour : Luc 9, 22-25

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Il faut que le Fils de l’homme (ton uion tou anqrwpou) souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu’il soit tué, et que, après trois jours, il se lève. »

Il leur disait à tous : « Celui qui veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix (ton stauron autou) chaque jour et qu’il me suive. Car celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie à cause de moi la sauvera. Quel avantage un homme aura-t-il à gagner le monde entier, s’il se perd ou se ruine lui-même ? »

***

Il y a un revirement dans l’évangile. Jusqu’ici, Jésus parcourait la Galilée et les territoires alentour, il s’était même aventuré dans des terres païennes, guérissant, exorcisant, toutes celles et tous ceux qui souffraient de quelque mal physique ou mental et venaient à lui. Où qu’il aille, les foules se pressaient autour de lui, pressentant quelque chose d’exceptionnel et de radicalement neuf dans sa personne et dans ce qu’elle disait et faisait. Il parlait en paraboles, dans ce langage imagé qui ne disait pas tout d’emblée, qui gardait du mystère. À ses disciples, il réservait de dire en clair ces « choses cachées depuis la fondation du monde ». Il s’agaçait pourtant de plus en plus souvent qu’ils soient si lents à comprendre celui qu’il devenait, au fil des jours, sous leurs yeux, dans ce compagnonnage de tous les instants. Jusqu’à ce moment charnière qui précède le texte de ce jour, moment de reconnaissance dont la primauté est accordée à Pierre par les trois évangélistes, la confession à Césarée de Philippe : « Tu es le Christ ».

En accordant ce titre à Jésus, c’est comme si Pierre ouvrait à son maître le chemin qui va mener celui-ci à Jérusalem, jusqu’au drame de la crucifixion. La période du Carême rejoue l’entrée dans ce chemin. Pierre libère Jésus du silence que celui-ci imposait jusqu’ici sur la vérité de sa mission et du destin personnel qu’elle engage. D’où cette première annonce de la Passion, dans la figure encore cryptée du « fils de l’homme » : cette autre façon d’être fils de désigne-t-elle directement Jésus ou comme on le découvrira plus tard, son « double eschatologique » auquel il va laisser sa place, celui qui reviendra à la fin des temps ? Est-ce un nouveau titre appelé à se substituer définitivement à celui de « fils de Dieu » ? Si Dieu meurt en Jésus Christ, ne reste-t-il qu’un simple fils d’homme, fils de son père ? Toutes ces questions, en un sens crucial qui ne fera que se confirmer, s’ouvrent à cet instant.

Comme s’ouvre le parcours semé d’embûches qui conduit à Jérusalem. Jésus avertit ses disciples et tous ceux qui voudraient le suivre à l’avenir : le nouveau jeu s’appelle « qui perd gagne », sur un chemin où chacun doit « prendre sa croix ». L’allégorie de la croix commence ici. En attendant que lui porte vraiment la sienne. Pour tous.

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