L'Épiphanie

 

L'adoration de mages, Pierre-Paul Rubens, vers 1617, MBA Lyon

L’évangile de ce dimanche (Matthieu 2, 1-12) célèbre l’Épiphanie :

 

Jésus était né à Bethléem en Judée, au temps du roi Hérode le Grand. Or, voici que des mages venus d’Orient arrivèrent à Jérusalem et demandèrent : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu son étoile à l’orient et nous sommes venus nous prosterner devant lui. »

En apprenant cela, le roi Hérode fut bouleversé, et tout Jérusalem avec lui. Il réunit tous les grands prêtres et les scribes du peuple, pour leur demander où devait naître le Christ. Ils lui répondirent : « À Bethléem en Judée, car voici ce qui est écrit par le prophète : Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n’es certes pas le dernier parmi les chefs-lieux de Juda, car de toi sortira un chef, qui sera le berger de mon peuple Israël. » Alors Hérode convoqua les mages en secret pour leur faire préciser à quelle date l’étoile était apparue ; puis il les envoya à Bethléem, en leur disant : « Allez vous renseigner avec précision sur l’enfant. Et quand vous l’aurez trouvé, venez me l’annoncer pour que j’aille, moi aussi, me prosterner devant lui. » Après avoir entendu le roi, ils partirent.

Et voici que l’étoile qu’ils avaient vue à l’orient les précédait, jusqu’à ce qu’elle vienne s’arrêter au-dessus de l’endroit où se trouvait l’enfant. Quand ils virent l’étoile, ils se réjouirent d’une très grande joie. Ils entrèrent dans la maison, ils virent l’enfant avec Marie sa mère ; et, tombant à ses pieds, ils se prosternèrent devant lui. Ils ouvrirent leurs coffrets, et lui offrirent leurs présents : de l’or, de l’encens et de la myrrhe.

Mais, avertis en songe de ne pas retourner chez Hérode, ils regagnèrent leur pays par un autre chemin.

 ***

En guise de prologue.

Bonny-sur-Loire, ma commune de résidence, sur la rive droite de la Loire et Beaulieu-sur-Loire, sur sa rive gauche, se font face, reliées par un pont suspendu dont on a fêté le centenaire en 2005. Les Bellocéen·nes l’appellent « le pont de Bonny » et les Bonnychon·nes « le pont de Beaulieu ». Il y a, dans l’église Saint-Étienne de Beaulieu-sur-Loire, surplombant la nef dans toute sa longueur, une sorte de tyrolienne qui permet à chaque Noël de faire glisser lentement une étoile lumineuse, du fond de l’église jusqu’au chœur, précédant la procession qui voit l’entrée des personnages de la crèche vivante, autre tradition du lieu. Marie, juchée sur un âne, porte un vrai bébé dans ses bras, Joseph est entouré d’une douzaine de petits bergers tout aussi costumés portant des agneaux en peluche, les rois mages suivent à distance respectable, un peu en avance en cette nuit de Noël et tout ce monde se loge dans le chœur, derrière le célébrant. L’âne a son lit de paille à côté du prêtre et écoute sagement la messe de la Nativité. La machinerie stellaire, déjà ancienne, fonctionne encore avec quelques à-coups et autres grincements de poulie, mais elle fonctionne. Elle met en scène l’étoile qui s’est levée à l’Orient et que les mages ont suivie jusqu’à Jérusalem, en attendant qu’elle les amène, à l’aplomb de la crèche de Bethléem, ainsi que Matthieu en fait le récit dans son évangile de l’enfance. C’est là qu'à Beaulieu l’étoile s’arrête, au-dessus de l’autel.

Passons aux choses sérieuses.

Le premier chapitre de l’évangile de Matthieu, la généalogie de Jésus et le récit de sa conception virginale et de sa naissance, ont permis de dire le « qui » et le « comment » de l’identité de Jésus.

Le deuxième chapitre expose le « où » et le « quand » : « à Bethléem de Judée, au temps du roi Hérode » (le Grand). Il s’appuie sur l’oracle stellaire tiré du livre des Nombres (Nb 24, 17) : « un astre issu de Jacob devient chef, un sceptre se lève, issu d’Israël » et sur la prophétie de Michée (Mi 5, 1) : « Mais toi, Bethléem Ephrata, le moindre des clans de Juda, c’est de toi que me naîtra celui qui doit régner sur Israël », retravaillée par Matthieu. En introduisant une négation dans sa citation – « tu n’es nullement le moindre des clans de Juda » - l'évangéliste transforme Bethléem en cité digne d’accueillir le Messie.

Cette péricope est construite par Matthieu comme une véritable dramatique qui voit s’opposer Hérode bouleversé et avec lui tout Jérusalem face à ces mages venus d’Orient qui lui annoncent qu’un « roi des Juifs » vient de naître. Ce ne serait donc plus Hérode, le roi ? Hérode roi de Jérusalem versus Jésus roi de Bethléem, une lutte sourde s'engage, dont les mages sauront se dégager.

Les mages sont des personnages bien connus de la littérature païenne de l’époque. Ils sont réputés compétents pour expliquer les phénomènes naturels ou interpréter les événements extraordinaires et sont généralement recrutés parmi les astrologues professionnels, ancêtres de nos astrophysiciens. D’où leur connexion avec « l’étoile » qu’ils ont vue se lever, qui devait accompagner la naissance du Messie et qui dans l’Antiquité saluait fréquemment la naissance d’un personnage illustre. Ainsi, ce sont des païens qui se sont mis en route et ont cru à la réalisation de la Promesse, jusqu’à se prosterner devant l’enfant de la crèche et éprouver « une très grande joie » (caran mhgalhn sfodra) ; alors qu’Hérode et tout le peuple de Jérusalem semblent vivre dans l’inquiétude de ce changement annoncé, inquiétude et changement qui vont les transformer en ennemis du Messie, rejetant l’accomplissement de la Promesse.

Grâce aux mages venus d’Orient, l’Épiphanie (manifestation) a le sens d’une révélation au monde, la plus ouverte qui soit, que confirme l’apôtre Paul dans sa lettre aux Éphésiens lue également ce dimanche (Ep 3) : « toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’évangile ».

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