La barque salvatrice
L'évangile du jour : Marc 3, 7-12
En ce temps-là, Jésus se retira avec ses disciples près de la mer, et une grande multitude de gens, venus de la Galilée, le suivirent. De Judée, de Jérusalem, d’Idumée, de Transjordanie, et de la région de Tyr et de Sidon vinrent aussi à lui une multitude de gens qui avaient entendu parler de ce qu’il faisait.
Il dit à ses disciples de tenir une barque à sa disposition pour que la foule ne l’écrase pas. Car il avait fait beaucoup de guérisons, si bien que tous ceux qui souffraient de quelque mal se précipitaient sur lui pour le toucher. Et lorsque les esprits impurs le voyaient, ils se jetaient à ses pieds et criaient : « Toi, tu es le Fils de Dieu ! » Mais il leur défendait vivement de le faire connaître.***
La renommée de Jésus s'est répandue comme une trainée de poudre. C'est en tout cas ce dont Marc l'évangéliste atteste dans ce passage. Jésus a acquis une double réputation de thaumaturge, c'est-à-dire de faiseurs de miracles, et d'exorciste, dont il se défend autant qu'il peut en enjoignant tant les miraculés que les démons qu'il a chassés de ne rien dire de cette puissance (dunamiV) qu'il déploie et qui semble être devenue hors de contrôle. Jésus semble ne pouvoir s'empêcher, par sa seule présence, d'aimanter alentour de lui tant la maladie que le Mal, jusqu'à l'extirper des foyers où ils se sont installés, cœurs et corps des humains.
Menacé d'être écrasé par les foules, il monte en barque, d'où il pourra continuer à annoncer le Royaume. Mais la bataille est rude, et les démons continuent à le reconnaître et à le dénoncer pour ce qu'il est : le Fils de Dieu. Et à nouveau, ils sont enjoints au « secret messianique », notion que certains exégètes ont déduite de comportements que l'évangéliste Marc prête à Jésus.
Tout se passe en effet comme si Jésus déniait être le fils de Dieu ou voulait le cacher, interdisait que l'on parle des guérisons miraculeuses qu'il opère et récusait la qualité de Messie que les foules de son temps voulaient lui attribuer. Il est étonnant que les démons qu'il chassait aient eu les premiers la préscience de sa véritable identité, avant lui-même peut-être.
Raymund Schwager s'est attaqué à ce problème dans un livre où il tente de reconstituer la chose la plus intime qui soit : la prise de conscience par Jésus de sa divinité, ou du moins de sa mission, suivant en cela une hypothèse du théologien allemand Hans Urs von Balthasar : Jésus n'a pas trouvé sa mission préfabriquée au berceau mais a dû « avec toute sa responsabilité libre, la former à partir de lui-même, et même, en un sens véritable, l'inventer. » Vrai homme, Jésus s'est totalement reçu des autres et de son Père comme fils de Dieu, à la façon, éminente et unique, qu'il a eu de recevoir cette grâce.
Les évangiles sont donc une reconstitution a posteriori de cet itinéraire intérieur de Jésus jusqu'à la croix et à la première confession de foi d'un païen, un centurion romain : « Vraiment, cet homme était fils de Dieu » (Marc 15, 39) qui l'illumine en retour comme elle peut illuminer toute vie.
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