Le serpent de bronze

 


L’évangile du jour (Jean 3, 13-17)

En ce temps-là, Jésus disait à Nicodème : « Nul n’est monté au ciel sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme. De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé, afin que quiconque croit ait, par lui, la vie éternelle. Car Dieu a ainsi aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais ait la vie éternelle. Car Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui. »

*** 

Ce passage de l’évangile selon Jean est tiré de cette scène évangélique célèbre, qu’il faut relire en entier, où un certain Nicodème vient s’entretenir avec Jésus - nuitamment par crainte du qu’en-dire-t-on, car fréquenter ce rabbi est mal vu à l’époque - et lui demande, prosaïquement, si « naître à nouveau », comme le maître le propose, implique d’entrer une seconde fois dans le sein de sa mère. Non, naître à nouveau, c’est accéder au Royaume des cieux dont Jésus annonce tantôt la présence en sa personne même, tantôt la venue prochaine dans la figure du Fils de l’homme, son double eschatologique de retour à la fin des temps. C’est naître « d’eau et d’esprit », évocation précoce du baptême.

Jean déploie comme souvent l’opposition entre les choses terrestres et les choses célestes et fait employer par Jésus l’argument a fortiori : si vous ne me croyez pas quand je vous parle de choses terrestres, comment me croirez-vous à propos des choses célestes ? 

Il y a toujours comme un voile posé sur les mots de Jean, qui se déchire par instants et tout s’éclaire, de façon fugitive.

Le serpent de bronze que Moïse avait dressé dans le désert avait servi à guérir les Israélites mordus par des serpents vénimeux : il leur suffisait de le regarder pour être immunisés (Nombres 21, 8-9). C’est à ce serpent guérisseur que Jean compare le Fils de l’homme bientôt « élevé », c’est-à-dire dressé sur une croix d’où il aura pouvoir de sauver quiconque tournera vers Lui son regard. Y a-t-il dans cette comparaison l’écho d’une théologie de la croix rédemptrice déjà élaborée au sein de la « communauté du disciple bien-aimé » (dont on doit la reconstitution à Raymond E. Brown) ? .

Dieu sauve-t-il ou juge-t-il ? Dieu se contredit en son Fils. Pour Levinas, l’incarnation est sans doute la proposition religieuse la plus contradictoire qui soit, voire absurde, comme « un rond carré » écrit-il, littéralement impensable. Ceci explique-t-il cela ? Matthieu 25 nous a averti du triste sort des « boucs » à l’heure du jugement dernier, mais avec le Fils, il n’est pas question de juger le monde mais de le sauver. « Monde », kosmos en grec, encore un terme ambivalent chez Jean, tantôt définitivement condamné tantôt sauvable en son entièreté. Alors sauver ou juger ? À moins que ce ne soit sauver ET juger. Le Fils sauve pour que le Père puisse juger ? Pourtant, chez Jean plus que chez tout autre, Dieu est amour inconditionnel, il est l’amour même. Mystères de l’évangile de Jean.


Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Une foi par jour

« Ta parole est la vérité »

Talitha koum !