« Le semeur sortit pour semer »

 

Le semeur, Jean-François Millet,  vers 1865

L’évangile du jour (Luc 8, 4-15) :

Or, comme se réunissait une foule nombreuse et que de chaque ville on s’acheminait vers lui, il dit par parabole : « Le semeur sortit pour semer sa semence, et comme il semait, du grain tomba le long du chemin et il fut piétiné et les oiseaux du ciel le mangèrent. Il en tomba aussi dans les pierres, il poussa et il sécha parce qu’il n’avait pas d’humidité. Il en tomba aussi au milieu des épines et les épines, en poussant avec lui, l’étouffèrent. Il en tomba enfin dans la bonne terre, il poussa et il donna du fruit au centuple. » Disant cela, il criait : « Qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende ! »

Ses disciples l’interrogeaient sur ce que pouvait être la parabole. Et il dit : « À vous il est donné de connaître les mystères du royaume de Dieu, mais aux autres les paraboles, afin qu’ils voient sans voir et qu’ils entendent sans comprendre. Voici ce que signifie la parabole. La semence, c’est la parole de Dieu. Ceux qui sont au bord du chemin sont ceux qui écoutent puis vient le diable qui enlève la parole de leur cœur de peur que, croyant, ils ne soient sauvés. Ceux qui sont dans les pierres sont ceux qui écoutent avec joie, accueillent la parole ; ceux-là n’ont pas de racines, ils croient pour un moment et, au moment de l’épreuve, ils font défection. Ce qui est tombé dans les épines, ce sont ceux qui, chemin faisant, sont étouffés par les soucis, la richesse et les plaisirs de la vie et ne mûrissent pas. Ce qui est tombé dans la bonne terre, ce sont ceux qui, d’un cœur noble et généreux, ont écouté la parole, la conservent et portent du fruit, par leur fermeté ».

***

Il y a les disciples et les autres. Aux autres, la parabole, aux disciples, Jésus accorde ses explications. 

Dans la version de cette parabole du semeur rapportée par Matthieu (Mt 13, 10-15), Jésus parle en paraboles « parce qu’ils – les autres – voient sans voir ». La parabole leur offre un autre regard sur la réalité, décalé, qui pourrait les aider à voir vraiment, grâce à un récit parallèle stimulant une nouvelle intelligence des choses. Où l’on lirait aujourd’hui le pouvoir de la littérature ?

Chez Luc ici (qui reprend la version de Marc), ce « parce que » (oti, en grec) est un « afin que » (ina), plus troublant. Au lieu de servir de révélateur, la parabole semble être un écran de fumée volontaire, pour dissimuler la vérité, ésotérique, réservée aux seuls disciples. Or, montre Raymond E. Brown, ce déguisement des choses entre peut-être dans le dessein de Dieu, comme lorsque, dans l’Ancien testament, Yahvé dévoile à Moïse son projet d’endurcir le cœur du pharaon afin que celui-ci n’écoute pas Moïse (Ex 7, 3). En provoquant l’incompréhension et le refus de se convertir, la « parabolisation » de la Bonne nouvelle va conduire au rejet de Jésus par les siens, jusqu’à sa condamnation et sa crucifixion. D’où le mot de saint Athanase : « Le Christ est ressuscité sur la croix », unifiant dans une même vision salvifique la mort et la vie, la gloire et la croix : le « parce que » et le « afin que » proposés simultanément par les évangélistes, dans une différence motrice.

Pour nous qui avons la chance d’avoir toutes les versions, tout est clair, ou presque…


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